« Quand cessera le saccage du patrimoine culturel de Najac? » par Gilles Murat

Najac est un petit village de l’Aveyron, classé par son patrimoine historique et culturel « Villes et Pays d’Art et d’Histoire », « Les Plus Beaux Villages de France » et « Grand Site Midi-Pyrénées » où se réalisent actuellement des travaux dans le cadre d’une opération de réaménagement appelée « Opération Cœur de Village ».

Comment ne pas être atterré de voir avec quel mépris on traite le patrimoine historique de la place sur Faubourg de Najac dans le déroulement de son réaménagement et de la rue qui la prolonge dite « Le Barriou ».

Sous les « couverts » de la place du Faubourg, le revêtement de sol était à l’époque et jusque récemment, constitué d’un pavage de galets ronds en « opus incertum » nommé « calade » et qui avait été partiellement préservé.

Le mépris de ce patrimoine dans l’Opération Cœur de Village, c’est-à-dire la suppression totale de ce pavement, est une trahison à l’archéologie de la place du Faubourg.

Il n’a pas été conservé, chaque fois que cela était possible, en tenant compte des impératifs de la modernisation des infrastructures, ce témoignage historique du savoir faire des concepteurs de l’origine de ce site sur le même principe de sauvegarde des fresques et mosaïques anciennes.

Et que dire de la disparition du vénérable banc en bois plusieurs fois centenaire, dit « Banc de la Maison Dufac » auquel les habitants étaient très attachés et pour laquelle il n’existe aujourd’hui pas de réponse.

D’autre part, rien n’est prévu pour la mise en valeur des « andrones », c’est-à-dire les espacements entre emprises foncières, participants de la particularité de la modénature de ces couverts en premier lieu et de la place en général.

Sur cette même place, rien n’est prévu pour réhabiliter la « Muraille aux Jambons », ce lieu où étaient labellisés des siècles durant les Jambons de Najac, que l’illustre Rabelais cita en ces termes : « Il n’y a jambon que de Najac ! »

Rien non plus n’a été prévu pour sauvegarder ou remplacer les robiniers, dits « acacias », arbres choisis par les najacois lors de la IIIe République comme « Arbre de la Liberté » dont l’alignement d’origine ne nie pas, puisqu’il l’accompagne, l’axe structurant de la place.

Et enfin pour l’Opération Cœur de Village, le choix d’aménagement général de ce projet pour cette place trahit la morphogenèse et la topographie de ce lieu historique conçu intelligemment à l’origine, ce qui jusqu’à présent n’a pas été démenti, à preuve le panel de l’évolution à travers les époques de son bâti. On y voit aujourd’hui la richesse et la variété des constructions depuis son origine à nos jours.

Également, dans la rue du Barriou qui prolonge la place, ce projet de réaménagement en cours, par les choix arbitraires des matériaux choisis, sans commun rapport avec l’identité originelle, uniformise tous les pieds de façade. De fait, la rue, par cette interprétation, perd toute l’authenticité même de ses habitats, ce qui efface tout témoignage de la diversité de vie et de la richesse architectonique de cette rue ancienne, à la fois artisanale et commerçante, émaillée de part en part de treilles volubiles, un écrin naturel, support de la vue spectaculaire sur la forteresse royale du XIIIe siècle qui lui fait face.

Le Barriou était à l’origine revêtu par un même type de couvrement de sol que les « couverts » et bordé de part en part de marches et bancs en pierre personnalisant chaque pied façade.

Tout cela n’est pas pris en compte et a même été nié et supprimé dans le projet de réaménagement de l’Opération Cœur de Village, malgré les habitants qui se sont manifestés en vue de sauvegarder ce précieux patrimoine lors des deux réunions publiques organisées pour « concertation » par Monsieur Rébellac, Maire de Najac, Monsieur Enjalbal, architecte du projet et son équipe, ainsi que la commission municipale de l’Opération Cœur de Village.

La commission municipale dans cette opération n’a pas été reconnue comme telle par les concepteurs dans ses suggestions et les habitants n’ont pas été respectés en tant qu’utilisateurs et contribuables.

L’ensemble de ce réaménagement, fait au détriment du patrimoine historique culturel najacois, le trahit pour faire valoir un « patrimoine culturel touristique » factice, ridiculisant les titres même de « Villes et Pays d’Art et d’Histoire », « Les Plus Beaux Villages de France » et « Grand Site Midi-Pyrénées » qui ont été attribués à Najac.

Quelles échelles de pertinences architecturologiques ont-elles été mises en œuvre pour le concept de ce projet de réaménagement ?

En effet, le patrimoine historique de Najac à été réduit à sa plus simple expression : la forteresse royale. Quid des particularismes et de l’identité du bâti du reste de la cité ? qui mène de facto à la dénaturation du site.

Une Opération Cœur de Village doit-elle déboucher sur un pastiche d’un lieu historique authentique tournant le dos à l’histoire même de ce lieu, faisant de celui-ci un véritable « Najac Land », un parc de loisirs artificiel fabriqué dans cette seule idée : « faire à la manière… d’un Disney Land » ?

Ce projet d’aménagement est soumis à l’approbation de Monsieur Causse, Architecte des Bâtiments de France de l’Aveyron.

Pourquoi ce professionnel qui doit, par son rôle, être le premier défenseur et garant de ce patrimoine et de la véracité du site en tant que responsable du Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine, valide par son silence le démantèlement du patrimoine dans le Faubourg et n’empêche pas les dérives de lèse archéologie lors de cette intervention à Najac pour les réaménagements de cette cité à fort caractère historique et patrimonial ?

Monsieur Causse Architecte de Bâtiments de France et Monsieur Pierre Enjalbal, architecte choisi et concepteur mandataire de ce projet pour le réaménagement de cette place unique, ne sont ni des néophytes, ni des profanes qui auraient des excuses de ne pas savoir l’importance de ce que représente un tel patrimoine en regard de l’Histoire de France.

Monsieur le Maire, premier magistrat de la commune, en tant que maître d’ouvrage public et principal décideur, étant le donneur d’ordre pour tous choix faits dans le cadre de cette Opération Cœur de Village approuve et valide ce saccage.

Refuser de reconnaître l’histoire c’est se priver des bases même de compréhension de la société dans laquelle on vit, celle-ci étant fille de sa propre histoire.

Il n’y a pas que la forteresse à Najac, il y a aussi, un hameau originel (La Pause), un bourg castral au pied de la forteresse, mais aussi un faubourg et il est indispensable de respecter la mémoire historique de ce village encore présente aujourd’hui.

Pour paraphraser Christian Norberg-Shulz, éminent historien et analyste de l’architecture, on ne nie pas le patrimoine historique, on s’en sert tout en respectant « l’art du lieu » afin de participer in fine de cet « art du lieu » même.

Quand cessera le saccage de ce patrimoine qui est l’âme même de Najac et de ses particularismes ?

Gilles Murat